Le galet

    Petit galet

    D'aussi loin que remonte mes souvenirs, il a toujours été là. Non pas comme un objet de famille, mais comme ce que l'on peut trouver et qui reste pour nous comme une part de ce que l'on est et de ce qui nous construit. Hors voilà, le voilà. Petit, de la taille d'un demi pouce Galbé sur le dessus, d'une légère rondeur apaisante et féminine. Gris foncé, presque marron avec quelques nuances légères dont il sait se parer au gré des saisons et de la lumière à laquelle il est exposé. Une petite rayure blanche le traverse et semble porter bien des choses que nous verrons plus tard.

    C'est simple, très simple. On est dans le domaine du matériel, du concret, du palpable. Mais de toute évidence ce n'est pour ça que j'ai été séduit par ce tout petit galet. Plutôt que séduit il est un mot plus proche. L'attirance.  
    Attiré par quelqu'un c'est explicable, on peut toujours le dire et le partager. Mais par un galet... Comment dire ce qu'il y a entre lui et moi, ce qui passe.

    Au début rien. Il était joli, seul au milieu d'un tout et pas forcément different des autres. Oui mais voilà, il devait l'être un peu quand même. Il l'est devenu, de plus en plus. Comme le devient un être proche, comme le devient une habitude. Une sale habitude. De celle qui s'immisce en nous, qui sait profiter des faiblesses de l'esprit à en devenir addiction, manque et besoin. Pas tous les jours ni tous les mois. Mais bel et bien présent comme le vent rafraîchissant en été, abrutissant lors des tempêtes, mélange de caresses et de hurlements.

    Lui en vouloir ?

    Mais ce serait lui donner une âme, l'autoriser à prendre la place que je ne veux pas qu'il prenne. Prendre en compte ce qu'il semble être, ce qu'il veut dire et veut faire passer.

    Ça semble fou, mais il rayonne, émet des choses, des palpitations, des ondes, de la chaleur, est présent par moment et murmure de temps à autres de petites choses. Des conseils, des directions à prendre, des courants sur lesquels je peux me laisser porter.

    Et pourtant, sans être, comment peut-il ? Vit-il sans avoir de coeur, sans émotions, sans début ni fin, sans naissance ni mort ? Est-il lui-même ou bout de moi ? Projection de mes envies, de mes sensations du moment que je ne sais exprimer avec des mots simples, faute d'avoir su, de savoir le dire et le faire sortir...

Pauvre humain.

    Simple. Me voici tel que je suis. Instant dans le temps, dans la durée. Matériel, présent, sans pour autant l'être dans le sens de celui qui me promène partout. Ma vie change au jour le jour, comme elle l'a toujours fait, ce qui est un grand bonheur en tout temps. Je voyage, je vois des gens, des choses. Je regarde, je vois, je vis, mais jamais ne m'était demandé si c'était bon ou mauvais. Si ce qui m'arrivait pouvait avoir un sens ou devait m'emmener quelque part.

    Non. Je vivais comme vivent toutes les choses, avec ce plaisir simple de voir les choses venir à nous, nous transporter dans le temps. On vit toutes et tous des passages d'états transitoires. Il nous arrive de voir et de profiter d'évènements que l'on prend tels qu'ils viennent, comme si nous les avions attendu. C'est une façon de vivre simple. C'est comme ça que je vivais, comme les autres choses. Avant.

    Oui, avant que cet idiot, sans prendre mesure de la dimension de ses actes, ne me ramasse. Je suis d'ailleurs sur qu'il ne sait plus ni où, ni comment il m'a trouvé. Peut importe, mais c'est comme ça que les humains fonctionnent. Nous sommes choses, eux sont tout puisqu'ils pensent.

    Au début ça m'a bien amusé de changer d'endroit, c'est le cours de l'existence normale, les aléas et les pérégrinations de choses, les fluctuations d'état. Tout était nouveau, intéressant. Ma vie prenait un nouvel essor avec ce rebondissement. Je n'avais qu'à suivre dans la poche, dans la main, sur le bois noir de cette commode qui égaie aussi son quotidien. Mais que lui a-t-il pris de vouloir plus de moi. Plus que la simple possession du moment, que de s'inscrire dans le défilement du temps. Il s'est mis à croire en moi, à me donner des propriétés que toute chose a, mais dont on ne se sert pas, tant notre vie est faite de contemplation et de profit des secondes qui passent. Il a voulu que je sois. Pas comme une chose, mais comme un humain, que je porte une âme, que je devienne dans son sens à lui.

    Au début j'y ai été très réfractaire. Puis l'intérêt qu'il me portait étant bien nouveau, je me suis laisser aller à penser, à ne plus voir les autres choses, ni moi-même comme un galet. J'ai bien sentit la commode, la poche, et ce dans quoi je vis avoir une appréhension. Voir ce petit galet tenter de devenir plus et autrement. Rares sont les choses à le faire, et l'on ne sait que trop comment cela s'est finit pour elle. Ni triste, ni heureuses, leurs fins sont simplement arrivées bien vite à avoir voulu provoquer les humains essayant d'être.

Froid.

    Au début j'en suis sur, du moins il me semble, il était comme les autres. Peut-être particulier, mais pas différent. Et puis un jour sans trop savoir pourquoi, alors que je le serais dans ma main enfoncée dans la poche de mon jeans, chargé d'émotion à l'encontre d'une personne, je l'ai sentit refroidir brusquement. Il n'était plus comme avant. Comme il a toujours été. Bien au chaud il prend la température de ce qui l'entoure, il est comme le reste, devient en fonction de tout ce qui fait le monde. Et puis là, il y a eu quelque chose.

    Je savais bien qu'il était différent, qu'à mon contact ce ne serait pas qu'un simple objet. Ce que l'on forme, cette union ne pourra lui faire que du bien, je vais pouvoir lui apporter quelque chose, moi qui suis. Certes ça ne m'est pas venu comme ça en une fois. Longuement j'ai observé ce qu'il devenait, je l'ai garder au plus près de moi, lui ai fait partager bien des choses, des évènements auxquels il n'aurait jamais assisté. Je l'ai fait sortir de sa condition matérielle pure.

    Je ne suis pas fou, mais je suis quasiment sur que les objets, à notre contact, pourraient devenir un peu plus que ce qu'ils sont. Preuve en est, il est devenu froid alors qu'il était au chaud !!!

A suivre...